Wan Utu Aciel


Kampala - Uganda

Désolé si ce post arrive un peu tard. C’est difficile d’écrire à propos de l’Afrique, car on tombe rapidement dans les préjugés, ou au contraire on essaie trop d’idéaliser. Ce sera nécessairement un long post, alors ouvrez-vous une bière et asseyez-vous confortablement, pendant que je vous fais visiter l’Ouganda... 

Premièrement, tout commentaire qui débuterait par «L’Afrique est...» serait nécessairement faux. Il n’y a rien que je pourrais généraliser. Je n’ai pas «fait» l’Afrique, j’ai visité l’Ouganda.

Donc, une vision idéaliste de l’Ouganda pourrait ressembler à ceci: 
Wow. Dès que je suis arrivé, j’ai senti le poids du stress de notre vie quotidienne fondre sur mon dos, et l’air chaud de la simplicité qui me remplis les poumons. Il y a quelque chose ici, comme en Amérique latine, qui te fais te sentir humain, qui t’ancre les deux pieds dans la réalité et qui rend futile toutes nos angoisses. Les gens sont chaleureux, on m’avait déjà prévenu, mais c’est toujours surprenant. 

Un vision qui conforterait nos préjugés ressemblerait à ceci: 
Il y a une odeur de plastique brûlé sur la route; En l’absence de gestion des déchets, tout le monde brûle leur petit tas n’importe où. S’ils ne les brûlent pas, on voit simplement un amoncellement de poubelles le long des routes. Au milieu de la saison sèche, il ne pleut pas pendant des mois, et une épaisse poussière rougeâtre remplit l’air et accompagne la fumée des déchets. Après quelques jours, on développe tous une espèce de toux de fumeurs. L’hôpital est bondé. Les gens font la file et remplissent toute l’aire d’attente en espérant passer ce jour-là, après avoir fait des kilomètres de route à pied. Le village tout près est une relique des camps de déplacés qui accueillaient ceux qui fuyaient la guerre civile il y a à peine 3 ans. Les patients présentent parfois les stigmates de la guerre. En serrant la main du prêtre de l’hôpital, on ne peut pas se tromper. Une main déformée, éclatée par une balle tirée par un membre de la LRA. Une femme dont les lèvres, les oreilles et le nez ne sont plus que des cicatrices, ayant été arrachés au couteau, par un jeune adolescent forcé aux pires atrocités par la pointe d’un AK47. Un jeune de 16 ans, moralement détruit, après avoir été forcé d’assister au meurtre de ses parents, pour ensuite lui-même être forcé à tuer plusieurs autres innocents avec pour seul motif la peur de subir encore plus de souffrance. 



Et la réalité? 
La réalité est un peu tout ça. En fait, rien dans ces descriptions n’est totalement faux. Mais la réalité est un mélange des deux histoires. Raconter seulement une partie change totalement notre perception. Comprenez, donc, que j’aie vraiment de la misère à trouver les bons mots. Je ne veux pas que vous ayez une image de l’Ouganda comme un pays détruit, sombre, sans espoir, car c’est faux. Je ne veux pas non plus que vous croyez qu’il n’y a aucune problème et que la vie est rose, car c’est aussi faux.

Bon. Donc, quand je suis arrivé à l’auberge le premier soir, il n’y avait pas d’électricité. Semblerait que le pays soit souvent plongé complètement dans le noir pour une raison inconnue et pour quelques heures. Le courant est simplement instable. Comme je vous écrit présentement, l’électricité vient de manquer pour la 3e fois ce soir. Quand ça dure longtemps, on s’installe à l’extérieur, et on regarde le ciel incroyablement étoilé. Ou on sort nos lampes frontales, ma guitare, et on chante. Ou on traverse la rue, on s’installe dans la cours d’un petit bar, on allume une chandelle, et on s’ouvre une Nile Special (la bière locale). J’adore cette ambiance. La route n’est pas encore asphaltée devant l’Hopital, alors elle est vraiment très poussiéreuse, alors de nuit, on ne voit qu’un épais brouillard sombre et noir, traversé par quelques ombres ici et là, avec pour seules lumières une ou deux motos qui arrivent au loin. 

"The city lines are down, the kerosene ran out, 
the fracturing of all we relied upon.
Let's shed this unclean skin, 
And start to feel again, 
Cause all the shoulders on which to cry are gone."
- Rise Against

Le groupe est merveilleux. La moitié sont Ougandais, et l’autre moitié sont majoritairement Américain. Je croyais que ce serait plus international que ça. Sur 16, il y a 2 Canadiens, un Italien, un Zimbabwéen et 14 Américains. Mais le groupe a une cohésion parfaite. Après quelques jours, on voit habituellement apparaître le «choc de la vie commune», et les traits d’un ou l’autre finissent par s’amplifier et taper sur les nerfs, et la chimie de groupe devient difficile. Mais ici, tout a bien été jusqu’à la fin. J’avais parfois un manque de vie privée et il m’arrivait d’avoir envie d’avoir la paix, mais ça finissait toujours par aller. Je sortais ma guitare et je ne pensais plus à rien d’autre. 



Le décalage horaire a été difficile à rattraper. Les premières nuits, je me réveillais autour de 4 heures du matin. Ça m’a permis de prendre l’habitude d’aller courir pendant que le soleil se lève, et je le fais encore quelques fois. Le Nord de l’Ouganda est un peu valloneux, et courir en direction du soleil qui se lève sur la brousse et les collines est assez magnifique. Bon, cette poussière rend parfois la chose un peu difficile, mais on s’en sort!

« Taking a plane can lead you to somewhere else, but learning a new language leads you to the people».

Une fête en Ouganda
Ma fête a été épique. Ils n’ont organisé tout un party, ils m’ont même fait faire un gâteau. Et l’Hôpital a une petite piscine extérieur pour les visiteurs étrangers, alors pour la première fois de ma vie, c’est un party de piscine que j’ai eu en plein janvier pour ma fête. Mais ce n’est pas tout! Pour l’occasion, quoi de mieux que de rôtir une chèvre? Oh, l’expérience! Nous avons donc acheté une chèvre. Vivante. Puis, un de notre groupe étant musulman, on a décidé de préparer la chèvre halal, simplement en suivant certaines règles pendant qu’on tue l’animal. Oui, on a assisté à tout le processus. C’est une bonne chose à faire pour réaliser que notre viande ne pousse pas dans les arbres emballés dans du plastique et prédécoupé. C’est assez étrange de manger un morceau de chèvre qui était vivante 3 heures plus tôt. Les chasseurs vont avoir trouvé ce commentaire assez évident, mais quand c’est ta première fois, ça te fait réfléchir à ce que tu manges!   
Parlant de manger, si quelqu’un peut m’envoyer des légumes par la poste, ce serait apprécié. Merci. (SVP, ne le faites pas pour vrai...). Je commence à manquer de vitamines. Manger toujours du riz, des patates et une viande, toujours cuits à peu près de la même façon, ça devient difficile. Et quand je dis toujours, c’est toujours, midi et soir. Il y a heureusement du choux, et ma banane matinale, et parfois des beans. Même à la grande fête de l’hôpital, c’était le même service. 

Culture
La première semaine, il y avait évidemment une activité d’échange culturel. Expliquer la Chasse-Galerie en anglais avec une tuque sur la tête en expliquant les joies de l’hiver, c’était vraiment trippant! Fait intéressant, quand j’expliquais le mouvement souverainiste, un ami Ougandais me demande : «Dis-moi Marc-André, crois tu que si vous essayiez de discuter ensembles du passé, les Français et les Anglais pourraient se réconcilier? Comme nous avons fait en Ouganda!». L’Ouganda est formé d’un paquet de peuples différents, les Acholi, les Bouganda, etc, qui ont été réunis dans un même pays pendant l’ère coloniale par les Britanniques, ce qui a mené le pays vers la guerre civile, jusqu’à ce qu’une réconciliation unifie les différents peuples. Je sais, on peut argumenter longtemps que la situation au Québec «n’est pas pareil». Mais à ce moment, j’ai sourit, car je ne savais pas du tout quoi répondre... 

Sinon, parlant culture, c’est un peu triste de réaliser à quel point une guerre civile peut miner l’héritage d’un peuple. Faut croire que quand une famille est éclatée par la violence ou dispersée dans des camps de réfugiés, le transfert de tradition est plus difficile. Ajoutons un peu d’Américanisation excessive, et voilà. La culture reste riche,  la danse, le chant, la musique... mais elle s’exprime timidement en ces années post-guerre. Il faut aussi dire que mon contexte, vivre en résidence à l'hôpital avec un groupe d'Américain, mine un peu le potentiel d'échange culturel. 

Photos 
J’hésite un peu à sélectionner les photos que je veux montrer. Dans chaque photo, il y a  l’intention de la photo d’une part, et le message qui est perçu d’autre part. Cette photo ne représente pas un sauveur blanc altruiste qui enseigne la musique à un groupe de d’Africains pauvres. C’est seulement moi qui montre la guitare à un enfant. Point. Et la victimisation est bien la dernière chose que ce continent à besoin; Il l’a déjà suffisamment subit... Alors, l'histoire derrière cette photo; j'étais en train de gratter un peu sur notre balcon, et un des enfants qui restent dans les appartements autour de nous est venu s'assoir à côté de moi. Il avait l'air particulièrement intéressé par la guitare, alors je lui ai glissée dans les mains et je lui ai montré comment gratter. À ce moment, folie furieuse; Tous les enfants qui jouaient autour de nous se sont attroupés autour de la guitare pour avoir leur moment de gloire chacun leur tour et faire rire les autres en faisant n'importe quoi. Une amie a décidé qu'il fallait absolument prendre une photo. 

J'ai aussi testé mon niveau de stress en donnant ma caméra pour une bonne demie-heure à un groupe d'enfants surexcités et en les laissant prendre n'importe quoi en photo. C'est excellent pour travailler sur notre anxiété et "laisser-aller". Après avoir expliquer quelques fois de ne pas se battre avec la caméra dans les mains, et ne pas mettre ses doigts sur l'objectif, ça a donné quelques trucs comiques.


Éditorial!
Ça m’amène à un peu plus d’éditorial. (Je devrais peut-être écrire seulement un blog de photos de voyages et me partir un blog politique, mais ce n’est pas ce que je veux. Je n’ai pas envie qu’on distingue mon voyage de l’expérience que j’y acquiers, alors laissez-moi me gâter!). 
Alors, d’après, c’est quoi le problème ici? Hmm, question surprenante! Marc-André, c’est évident, le monde est pauvre, c’est tout. Ok, alors, ont-il toujours été pauvre? Est-ce leur fatalité? Petit historique Afrique 101:

L’Afrique a déjà été un territoire prospère qui produisait des surplus pour sa population. Puis, vint l’époque coloniale et la soif de l’Europe pour augmenter les profits. Tout l’Afrique a été dépossédée et donnée à la France, l’Angleterre, la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, l’Allemagne, pour servir de producteurs de matières  premières et faire gonfler l’économie de l’Europe. L’époque coloniale a été incontestablement néfaste pour l’Afrique, qui s’est vue imposer la monoculture à outrance, la surexploitation de son territoire, des distinction raciales arbitraires qui ont donné lieu à des guerres civiles (exemple bien connu du génocide Rwandais, parmi tant d’autres), etc. Les colonisateurs se sont progressivement retirés à mesure que les pays réclamaient leur indépendance. La partie plus controversée, c’est ce qui a suivi. Globalisation et néolibéralisme ont donné lieu à un nouveau système colonial basé sur l’investissement privé. La globalisation a fait de bonnes choses, qu’on s’entende, mais ça a donné lieu à tout un bordel dans cet hémisphère-ci. Une Afrique déjà affaiblie par son passé colonial, qui se voit poussée de force dans le jeu du marché. (je vulgarise et généralise, je m’excuse). Les économies locales ne sont pas assez fortes pour compétitionner, On «supporte» les pays à coups de donations qui viennent avec des conditions. Les systèmes doivent être privatisés. Les cultures doivent se spécialiser... L’Ouganda a été un parfait petit suiveux de l’économie néolibérale. Pour générer une inflation artificielle, presque tous les secteurs publiques ont été privatisés ou abandonnés, au nom de la sacro-sainte restructuration. Résultat? Un augmentation record du GDP qui fait bander les économistes, alors que le niveau de vie est en chute libre et que les indicateurs de santé de la populations n’ont fait que régresser. Bravo, le développement! 

« Le développement est un instrument de domination. Il faut se croire sous-développés pour mordre à l’hameçon des occidentaux et entrer dans un jeu économique qui renforce les pouvoirs en place et qui nous détruits.» 
- Aminata Traoré, Activiste Malienne 

Alors, dans tout ce merdier, que faire? La charité à la fâcheuse tendance à être une solution band-aid qui apaise en surface et qui laisse intact toutes structures problématiques. Parfois, la souffrance est trop grande pour s’enfarger dans les fleurs du tapis, et l’homme est simplement un égoïste qui ne supporte pas la souffrance de l’autre : On a besoin de distribuer des Band-aid. Mais il faut éviter de renforcer tous ces systèmes qui rendent des gens (et parfois tout un continent) dépendant du support extérieur, avec tout ce que ça implique. Ici, honnêtement, c’est le bordel. Un paquets d’NGO qui s’attaquent à des problèmes spécifiques chacun à leur façon, dépendant de leur croyance, de leurs donneurs, de leurs ressources, et souvent en oubliant totalement le global picture. Sur ce, je pourrais bien en écrire une dissertation, mais je vais vous teaser et laisser tout ça sur la glace et on s’en reparle devant une broue froide. Mais s’il vous plaît, n’envoyez pas de souliers en Afrique. Merci. 

Et la médecine sociale?
Hey, en passant, mon cours est à l’hôpital fondé par Lucille Teasdale et Piero Corti!  Je l’ai réalisé en arrivant. Je passe devant le lieu où ils sont enterrés chaque matin. Je ne savais pas trop quoi penser au départ, car j’ai un sérieux problème avec le concept du «sauveur blanc». Mais ça me semble être un hôpital qui répond très bien aux besoins de la communauté, son personnel est presque entièrement local, il inclut une école de médecine et une école de soins... Presque le modèle Partners in Health! Sauf que leur financement ne leur permet pas d’offrir des services sans frais, même s’ils le voudraient bien. Alors voilà, je me suis retrouvé, la première journée, avec un patient en cardio. En effet, il n’y a pas que de la Malaria, du VIH et de la TB en Afrique. Donc, (désolé pour le jargon médical), patient avec Infection respiratoire à Strep A en bas âge, développe un RAA, et est insuffisant cardiaque à 26 ans. Je peux comprendre que la chirurgie de remplacement de valve ne soit pas disponible. Mais ce jour-là, il se présentait en oedème du poumon, en train de se noyer, parce qu’il n’avait pas d’argent pour payer les diurétiques. On est sorti de la salle en sachant tous très bien qu’à 26 ans, il allait bientôt y laisser sa peau, par manque d’argent. Pour des putains de diurétiques. Les gens sont sensés mourir quand on ne peut plus les traiter. Pas quand ils manquent d’argent. Caliss. 

"As laws are entangled with power and interpretation, medicine is the most direct and objective way to point out suffering of individuals, and medicine thus bring a refreshening new approach to human rights" 
 - Virchow

Évidemment, ce n’était pas le seul patient à nous faire sortir de notre zone de confort.  Mais je ne sais pas pourquoi, celui-là m’a frappé plus fort que les autres. Ça aide aussi à comprendre que la justice en santé, ce n’est pas de simplement se battre pour le VIH. Parce que mourir d’Insuffisance cardiaque à 26 ans, c’est aussi une injustice...  



J’ai plein d’anecdotes à raconter et de choses que j’ai besoin de partager, mais peut-être que je devais m’arrêter ici. Je vous parlerai une autre fois de la clinique d’Atanga, des parties de Foot communautaires, du bonheur de la douche froide, des Matatous et des Bota-Botas, de l’extase de boire une Nile Special en flottant sur le Nil, les chuttes Murchinson, le Safari, mon expérience à l’hôpital, etc. 


Je suis maintenant à Kampala, je me repose pour une journée, on a commencé à dire au revoir à la moitié du groupe (damn, c'est difficile). Je pars dimanche pour la Tunisie. Une autre aventure, une nouvelle histoire!

Wan utu aciel! C’est ce qu’on dit, en Acholi, lorsqu’on lève notre verre. Ça veut dire «Nous ne sommes qu’un». 

Love, et à bientôt! 

Marc

Avec une Nile, sur le Nile

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Welcome to Egypt, et Tunisie, la fin!

Pour en finir avec le papa con

Sur la route du Jasmin