On est partis...


12 décembre 2016 - 18 Juillet 2017




Tom Walker - Fly Away With Me
Lecture : Ohrfeige - Abbas Khider

Alors, mon dernier post date de presque 5 ans… 

Pas qu’il ne s’est rien passé depuis, que je n’ai plus voyagé ou que je n’avais rien à dire. Parfois, seulement, je n’ai pas besoin d’écrire. 

Ma vie aujourd’hui est un peu différente de cette année sabbatique, qui me semble encore être hier. J’avais alors tout mis sur pause pour aller faire n’importe quoi, n’importe où. Et aujourd’hui… 

En fait, ce n’est pas tellement différent. J’ai aussi mis pas mal de choses sur pause pour aller faire n’importe quoi n’importe où… mais maintenant marié avec deux enfants et un diplôme en poche. 


La dernière année a été assez folle. Terminer ma résidence et mon projet de recherche, étudier pour mes examens, devenir papa x2, planifier un mariage en deux parties sur deux continents, déménager de la Gaspésie à Berthier, traverser le Québec de l’Abitibi à la Gaspésie pour remplacer dans les urgences, et déménager encore, cette fois en Suisse. Pour, en 2017, être papa à la maison et rester au même endroit toute l’année. J’avoue que j’avais un peu peur du choc de l’atterrissage.  

Tiens, parlons-en, de ce choc. 

S'installer - L'adaptation en 3 étapes
1ère étape - Lune de Miel 

Malheureusement, je crois que j'ai sauté cette étape, où d'habitude tout semble beau et rose lors des premières semaines d'un voyage. D'emblée, partir t'établir quelque part te donne des lunettes très différentes de seulement partir pour un voyage.  Les attentes sont différentes. C’est plus difficile d’être émerveillé par les différences alors que tu cherches plutôt des repères. Tu voudrais amener un peu de ta zone de confort avec toi. Pourtant, il y avait tout pour que je sois excité: L'Europe, des montagnes, des glaciers...

Pas qu’on n’apprécie pas la beauté des Alpes, mais on a choisi la Suisse par commodité, étant l’endroit où ce serait le plus facile pour moi de pratiquer en Français et pour Anna de pratiquer en Allemand. Mais ce n’est pas vraiment ici où on se voit faire notre
vie ou élever nos enfants à long terme (où alors? Bonne question…). C’est surtout un « en attendant », pour qu’Anna fasse sa résidence et qu'on puisse vivre ensemble en travaillant tous les deux. Pour les premiers mois, voulant profiter de ma paternité, je n'avais pas de travail. Mais toujours pas de contrat pour la suite non plus...Alors, quitter un pays que j’aime où tout était prêt pour que je commence à travailler dans quelque chose que j’aurais aimé, pour aller passer quelques années dans un « en attendant » sans plan... c’était dur pour le moral. 

Passer à travers toutes les boîtes que j’avais laissées chez mes parents, pour sélectionner soigneusement ce qui nous suivrait de l’autre côté de l’Atlantique et me débarrasser le plus possible du reste, c’était aussi difficile. J’avais d’ailleurs une boîte remplie de vieux billets de train, de musées, de brochures de tourisme, de monnaie étrangère, etc. que j’avais gardés de mon année sabbatique…

Alors voilà. Je n'arrivais pas d'emblée avec la meilleure attitude...

2e étape - Le Choc.

Le Choc arrive quand un paquet de petites frictions banales entre tes schèmes de pensée et ceux de ta terre d'accueil finissent par te rentrer dedans. Tu ne peux pas toujours identifier ce qui t'irrite, mais tout devient irritant. Et j'ai fait l'erreur de partir en cherchant à recréer toutes mes anciennes références, et mes frustrations se sont éternisées.

Se retrouver dans un pays similaire au tient te fait baisser tes gardes trop vite. Tu t’attends presque à ce que tout soit pareil et tu gardes les mêmes références et les mêmes lunettes qu’avant ton départ. Alors, les petits détails différents deviennent plein de petits grains de sable dans l’engrenage bien huilé de tes références, et tous les petits riens deviennent de plus en plus frustrants. Quoi, le plastique n’est pas recyclable et il faut séparer la papier du carton en faisant des petits paquets bien ficelés? Come on, c’est encore légal de fumer dans un restaurant dans un pays développé? Tout est fermé le dimanche et les horaires ne sont même pas prolongés le samedi, en plus des "jours de repos" en plein milieu de la semaine et des vacances d'été? La moitié des endroits n'acceptent pas la carte de crédit? Il faut payer pour aller à la toilette?? Et ne me commencez pas sur ce qu'il manque à l'épicerie...


On s’entend, je reconnais la stupidité de ces frustrations (sauf pour la cigarette partout, ça, je n’en démords pas) et j’ai fini par m’adapter. Mais Anna était un peu tannée de m’entendre dire « Seriously, they do it like this here?! ». 

Il y a aussi des différences plus profondes, dans les façons de penser qui sont plus insidieuses. Le traditionalisme, l'opposition relative à l'immigration, la croyance en la Schweizer Sonderfall (l'Exception Suisse), le rôle de genre encore fort (Congé de paternité déficient)... 


Nous sommes arrivés en plein milieu de l’hiver grisâtre et brumeux. Ce n’est probablement jamais le meilleur moment pour déménager quelque part et se sentir à la maison. Ok, les montagnes sont pleines de neige à l’année longue, mais devant ma fenêtre, il n’y a que des bâtiments gris et un peu de neige grise sur les trottoirs. J’ai eu le mal du pays dès mon arrivée. L’hiver, le vrai, parfois il faut s’en éloigner pour réaliser qu’il peut nous manquer (je crois que j’ai écrit la même chose il y a 5 ans…)


Un presque-printemps est arrivé déjà en janvier. Il faisait un peu plus chaud et beau, le peu de neige était parti, mais pas encore de feuilles dans les arbres. Le ciel était bleu mais la ville était toujours grise. Ce n’est pas l’explosion de vie après un long hiver auquel j’étais habitué. C’était une longue et stable progression. La frénésie sur les terrasses de St-Denis en fin avril au premier 20 degrés, oubliez ça.

Bref, j'ai passé les première semaines à me plaindre. 

3e étape - L'adaptation et l'appréciation

Bienne n'est pas Montréal, la Suisse n'est pas le Québec, pour le meilleur et pour le pire, deal with it. 


Au moins, ils ont de bonnes microbrasseries! Et de sacrées belles montagnes. Mais aussi beaucoup plus, et je commence à le découvrir.


Maintenant, les feuilles dans les arbres remettent beaucoup de beau sur la ville. Les montagnes sont magnifiques à l’horizon quand il fait beau. On se permet maintenant de faire de longues randonnées ; Ça change complètement ma vie. J’ai un sentiment de liberté renouvelée. Ou je suis juste peut-être très sensible à la déprime saisonnière et j’étais dû pour du soleil chaud. On se permet d’aller prendre un café sur une terrasse de temps en temps. Anna a eu deux semaines de vacances bien méritées qui nous permettent à tous les deux de respirer. On a réussi notre première rando de vélo-camping avec les jumeaux autour du lac. On amène les petits à la plage et on se baigne dans le lac. On profite de chaque demie-journée disponible. 

Chaque premier vendredi du mois, la Vieille Ville (qui commence au coin de notre rue) s'anime de musique en plein air et de stand de bouffe de rue. D'habitude plutôt calme, la Vieille ville me décevait au début, me donnant l'impression d'être négligée et peu fréquentée. Puis, petit à petit, j'y ai découvert le café littéraire, la petite épicerie hipster, le bar-coopérative, les marchés du samedi matin. 

Depuis quelques semaines, je remonte vers l'appréciation. J'ai identifié mes endroits préférés. J'ai fait visiter des amis et ma famille. J'accumule des souvenirs ici et là.

Et petit à petit, alors que les alentours deviennent familiers et que je croise des visages connus au parc ou à l'épicerie, Bienne devient de plus en plus chez moi.

Chez nous... 

Être Papa - l'autre adaptation 

On vient des célébrer la première année des jumeaux, et j'ai encore des moments d'illumination où je me dis "Hey, t'es Papa, toé chose." 

Pour être honnête, être papa à la maison n'a pas aidé à faciliter le changement de continent. Se reconstruire un réseau social n'est pas simple. Pour l'instant. Surtout quand les groupes de parents ne sont pas trop ton truc... 

Être seul avec des jumeaux toute la journée (Anna travaille à peu près 12h -13h par jour, donc appelons ça toute la journée), c’est aussi avoir un sentiment proche de l’agoraphobie. Sortir de chez soi est une source d’anxiété, une course contre la montre, ce qui ne m’a pas aidé à apprendre à apprécier mon nouveau chez moi. Combien de temps ils vont me laisser avant d’être tannés de la poussette? Je ne peux quand même pas les laisser ramper sur le trottoir ou dans le magasin (Surtout quand il faisait encore froid)… Ils sont deux, je suis seul. Si les deux sont en crise, je fais quoi? À la maison, je peux les gérer, mais dehors? Si les deux ont des couches à changer au milieu de nulle part? La poussette double ne passe dans à peu près aucune salle de bain. 

Je cherchais des petits cafés étudiants pour sortir de chez moi, et j'avais l'impression de ne rien trouver. J’aurais voulu un Cagibi ou quelque chose du genre. Mais d’une part, Bienne n’est pas une ville étudiante (il n'y a pas d'Université) et d'autre part, en tant que papa de jumeaux, j’ai réalisé que j’avais de nouvelles limites. Pour pouvoir aller au café, il faut de préférence que le café ait une table à langer (si possible dans la toilette des hommes mais il ne faut pas trop en demander), assez d’espace pour rentrer la poussette et, dans le meilleur des mondes, deux chaises hautes ou une aire de jeu. En réalisant mes propres limites, j’ai compris que ce n’était pas le manque de cafés le problème. Il y en a quand-même des très bien, ils ne sont juste plus accessibles. 

Je m’habitue, j’apprends et je développe des trucs.  Maintenant, avec le beau temps, je peux aller à n’importe quel café et m’assoir à l’extérieur. Ou on peut aller au parc et je les laisse jouer pendant que je lis. 


Être papa à la maison c’est aussi se mettre des boîtes de carton sur la tête et faire des faces bizarres pour les faire rire. Prendre ta guitare et jouer 2-3 trucs pour briser une crise (autant la leur que la tienne) quand t’es désespéré… vous devriez voir leur face qui ne comprend pas qu’une boite en bois avec des cordes puisse faire plein de sons. Et quand ils se mettent à chanter par dessus la guitare, c’est du grand art (taaa taaaa taaa). C’est être les personnes les plus importante dans leur vie (avec leur mère), et ils te le font sentir. C’est leur visage qui s’illumine d’un grand sourire quand tu ouvres la porte de leur chambre le matin. C’est se battre pour les faire dormir avec mille et une différentes stratégies et quand ils dorment enfin dans tes bras, rester là à les regarder et ne plus avoir envie d’aller les déposer. C’est la petite fierté malsaine quand quelqu’un d’autre essaie de les calmer mais que seul toi en est capable.  C'est redécouvrir une créativité perdue. 

C’est aussi changer beaucoup (beaucoup…) de couches, stresser sur l’introduction des aliments (et s’ils devenaient allergiques à ci et ça parce qu’on l’a mal introduit?), préparer beaucoup de biberons, s’assurer qu’Emilian n’écrase pas trop Eleanore quand il s’assoit dessus, découvrir chaque jour de nouveaux trucs qu’ils sont capables d’atteindre et ne devraient pas, et développer des talents d’équilibriste en essayant de descendre de notre troisième étage avec les deux en même temps.  
Mais tout devient plus facile, de toute façon, avec le temps. La joie d'enfin pouvoir dormir des nuits complètes est indescriptible.

Et malgré tout, tu réalises combien tu t'ennuies d'eux quand tu les laisses chez la gardienne...

Commentaires

  1. Wow! Beau texte, j'adore comment tu écris. Bonne continuation, tu es (et a tjrs été) sage et inspirant!

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Welcome to Egypt, et Tunisie, la fin!

Pour en finir avec le papa con

Sur la route du Jasmin