Le vieux continent, la fin?




 Je vous ai laissé en quittant la Turquie pour traverser l'Europe en train... pour ne plus jamais donner de nouvelles. Mettre le point final à ces lignes me permettra peut-être d'enfin être vraiment revenu...

Première escale - Bucharest, Roumanie
Ed Tullett - Continental Dares
Ma première erreur du voyage a été de croire que le train allait être aussi bien sinon mieux que le bus. Vraisemblablement les Turcs négligent un peu leur système ferroviaire. Me rendre à Bucharest m’a donc pris 20h. Et moi qui s’attendais à avoir un restaurant à bord, je réalise qu’il y a à peine une machine à café sur un bruleur au gaz. Merde.

Heureusement, la générosité turque m’aura encore sauvée, et mon partenaire de cabine m’a offert une partie de son repas.

Au pays des vampires (la Roumanie), je renoue tranquillement avec l’Europe, alors que défilent de petites églises orthodoxes par les fenêtre du train et que je commence à suivre les traces du Danube. Bucharest me charme rapidement et je m'en veux d’avoir si peu de temps à lui accorder. Mon prochain train est dans 24h. Alors je prends le temps de sortir, je redécouvre les bières d’une qualité acceptable (désolé, mais la Celtia, la Efes et la Nile special ne sont pas mes favorites).  Je revois l’architecture européenne, ces magnifiques et immenses vieilles villes. Je visite le parlement Roumain, et en apprends un peu plus sur l’ère soviétique. (Je vais dire soviétique, parce que je trouve ridicule d’appeler cette époque du communisme, tellement c’était loin de l’idéologie de base). Le parlement roumain est immense. Et en visitant, en voyant la quantité de lustres de crystal au plafond et le luxe incroyable, je n’ai qu’une chose en tête. Comment peut-on gaspiller autant d’argent dans de la luxure inutile, et prôner d'un même souffle des discours d’austérité? 


Et je ne m’adresse pas qu’à la Roumanie. Comme dirait Paul Farmer, ne me faites pas chier avec vos discours de cost-effectiveness alors que plusieurs d’entre nous se mouchent (je me suis censuré sur celle-là..) sur des billets de 100$.

Bon, il n’aurait pas dit ça comme ça…

C’est la réalité de notre monde. On produit de la luxure inutile dont la grandeur  n’a d’égal que la stupidité humaine, mais on ne peut pas offrir une éducation accessible, des soins de santé accessibles, des médicaments accessibles. Je crois qu’on a une discussion de société à avoir sur certaines de nos valeurs qu’on considère primordiales… Et oui, on va parler de décroissance, parce qu'il le faut. 


"Economy is not a force of nature, we created it! And what doesn't work needs to be changed. " - David Suzuki

Ce sont des questions de priorité. Et  étrangement, en regardant les conflits, les crises et les structures sociales et politiques, on réalise facilement que les priorités de certains pèsent souvent plus dans la balance que les priorités des majorités. On cherche vraiment loin les causes du cynisme collectif? 

On entend tellement la minorité puissante parler des intérêts de la majorité silencieuse. Et les minorités vulnérables, elles? Comment peut-on aussi facilement laisser notre société se cloisonner de la sorte? Sommes-nous en train d’abandonner notre rôle d’individu social? Qui peut encore croire être totalement indépendant et autonome du support d’autrui?

On s’est battu pendant des années pour ces idéaux de bien être collectif, de protection des minorités, de reconnaissance des droits. La WWII aura été un choc qui nous aura fait prendre conscience de l’importance de se protéger contre la bêtise humaine. Ce n'est pas un point Godwin, c'est tirer des leçons de nos brutales erreurs. Et pourtant l’histoire se répète et se répète. On est cons et on n’apprend rien. Comment peut-on refuser des traitements à des réfugiés au Canada en prétendant agir dans l'intérêt de la majorité? Oui, les minorités ont de l’importance, et oui, les minorités doivent être protégées, même si la majorité souhaitait le contraire. C’est le fondement des droits humains. Alors quand on me dit que c’est normal d’ignorer une minorité pour le bien de la majorité silencieuse, j’ai envie de renvoyer ces abrutis refaire leurs cours d’histoire. 

« It happened, therefore it can happen again; This is the core of what we have to say »
            - Primo Levi, à propos de l’holocauste

Mais j’étais en train de vous parler de mon voyage... 



Au pays des Magyars - Budapest, Hongrie 


Comme j'achète mes billets de train au jour le jour, et que ça me semble aller mieux que prévu, je décide d'accorder 2 jours complets à Budapest. Et quelle bonne idée.

J'ai envie de vous dire que la ville est magnifique et dynamique, mais j'ai l'impression de l'avoir répété tellement de fois que vous ne me croirez plus. Mais Budapest est définitivement un coup de coeur. Les collines de Buda et la ville de Pest séparés par le Danube offre un paysage assez magnifique.  La ville déborde de terrasses, de cafés, de petits parcs. De relents de l'air soviétique, d'immenses bâtiments qui ont traversé les époques se mêlent aux architectures Européenne typique et moderne.  On y trouve avec humour une statue de Ronald Reagan qui marche vers le monument commémoratif soviétique, tout près de l'ambassade américaine. On y trouve le plus gros parlement d'Europe avec des airs de Westminster. D'anciens bâtiments désaffectés dans le quartier juif convertis en bars qui n'ont pas d'heure de fermeture.

J'y visite le musée de la terreur chef d'oeuvre pédagogique, qui retrace les deux régimes de peur, nazi et soviétique, qui se sont succédés en Hongrie au courant du siècle. Je participe à la marche gratuite qui m'emporte autour de la ville, ainsi que la marche d'après-midi qui explique l'ère communiste, avec ses mauvais côtés tout comme ces avantages puisque rien n'est que noir ou blanc.

Basilique St-Stephen, ou repose la Sainte Dextre, la main droite momifié du roi Stephen
Vous saviez que les Hongrois sont issus de la Mongolie? D'où la toponymie "Hungary", pays des Huns. Ils s'identifient plutôt eux-mêmes comme Magyars,  vivant au Magyarorszàg. Ils ont passé par des occupations romaines et ottomanes (comme à peu près tout le monde) avant de devenir un Royaume et de finalement former une des plus grandes puissances mondiales sous l'empire Austro-Hongrois, avant de presque tout perdre après la première guerre mondiale et de sombrer sous des régimes totalitaires. Quelle histoire... La Hongrie se relève tranquillement, et c'est ce qui en fait une destination magnifique, jeune, vibrante. Mais qui vit présentement un grave problème de gentrification... 

Et je m'y suis laissé emporter dans la vie nocturne.  Une Albertaine m'a approché pendant la soirée avant qu'on commence à jaser... Et parler est ce qui lui a fait perdre toute ses chances...

" Écoute, t'es bin cute, mais t'es pour la hausse des frais de scolarité et tu votes conservateur. Oublie ça."





Dans le port d'Amsterdam, y'a...
Lykke Li - I follow rivers  
Avant d'arriver à Amsterdam, j'ai dû passer par un autre 20 heures de train à travers l'Autriche et l'Allemagne. En Autriche, les paysages était si beau que j'avais envie de crier d'arrêter le train d'urgence pour me permettre de descendre. Quel tease. Vous savez, moi et les montagnes blanches...

À Amsterdam, j'allais rejoindre Maike et Sofia, que j'avais connu en Californie. C'est assez spécial, qu'au sein d'un seul même "long" voyage, j'en vienne à intégrer une retrouvaille de ceux que j'ai rencontré au début.

Tu sais que tu es à Amsterdam quand ton auberge jeunesse sent "la St-Jean-Baptiste", que tu deviens high en respirant l'air ambiant en plein air, et que tu tombes aléatoirement devant des vitrines de femmes en sous-vêtements.

Mais ce n'est pas ça Amsterdam.

Me croyez-vous si je vous dit que j'ai vraiment visité Amsterdam, et que je peux en écrire quelque chose?

C'est d'abord et avant tout une ville de tolérance. Une ville d'accueil. De luttes sociales, et d'intégration. En fouillant plus profond, ce sont ces principes de bases que la majorité des gens oublient.

Malheureusement, le deuxième principe de base de la ville, c'est l'économie. Ce qui fait croître le capital est donc d'autant plus toléré. On se souvient du Deutsch Syndrôme, et la frénésie des tulipes qui a fait couler l'économie à un certain moment. Et aussi le commerce d'arme qui est derrière le succès économique de la capitale.

Et plus en surface, il y a les vélos partout, la ville animée, les musiciens de rue. J'y ai même effectivement visité le musée Juif!

Deutshland ist schön
Tim Neuhaus - As life found you
Retour en Allemagne. Après y avoir passé 3 jours à Kassel, j'avais un peu honte de n'être jamais allé à Berlin. J'ai depuis longtemps une fixation sur le mur de Berlin, sa chute, symbole de révolution, symbole d'un peuple qui s'unit pour écraser les aberrations et détruire les frontières.  Je pensais même  jusqu'à récemment être né trop tard, dans une époque où on ne faisait plus de révolution, où on s'enlisait dans un endormitoire profond...

Je ne veux pas dire qu'on doive recréer les régimes totalitaires. Je me plains que jusqu'à récemment, on croyait vivre dans un monde idéal qui puait la paresse intellectuelle et qu'on ne s'autorisait plus à rêver à mieux. Jusqu'à ce qu'on recommence à rêver collectivement, ce printemps...


Je retrouve donc Anna qui m'accueille en Allemagne et je visite les places importantes avec elle, qui n'a pas été témoin de l'ère sombre, mais qui peut commenter la renaissance de son pays.

Berlin a été riche en apprentissages. Du tour de ville Berlin Alternatif qui recensait la culture alternative, aux musées riches d'histoire et de culture, aux discussions d'appartement autour d'une Berliner Kindl.

J'avais le coeur en guenille en visitant le musée de l'holocauste et le mémorial au coeur de Berlin. D'où ma montée de lait en parlant de protection des minorités. J'ai peur de l'oubli. La mémoire collective au Québec serait d'environ 40 jours. Hey, on peut donc se faire fourrer souvent dans une année! Ça m'enrage... Anna me parle de sa crainte de voir la montée du Nazisme à l'international. En Allemagne, il existe encore une espèce de honte collective qui pèse sur tout le monde. La culture alternative en serait peut-être un exutoire. Ils n'oublieront pas, puisqu'ils ont pour plusieurs de la difficulté à se pardonner les erreurs faites par des générations antérieures. Et ils n'en reviennent pas de voir encore des groupes qui flirtent avec le nationalisme extrême à l'international.

Et je parle du Québec. De la ligne mince entre la fierté nationaliste et la xénophobie. Je crois très fort que pour cesser de se voir comme un "petit peuple", on est dû pour se réapproprier notre pays. On peut en faire de grande choses. Un oui et ça devient possible... Mais notre fierté collective ne devra jamais mener à une fermeture sr soi, à un nationalisme extrême, à une xénophobie mal placée... On s'en fait la promesse?
Je visite beaucoup à Berlin, du Pergamon au musée de Virchow. Je participe à la fête du premier mai. Et je réapprends à connaître Anna qui réussit à me faire oublier que le Québec est à 6 000 km de l'Allemagne... 

On quitte pour Hamburg, et après avoir rapidement visité, une surprise nous y attend! Un autre Lavallée se joint à nous. Après une nuit bien arrosée et peu de sommeil, les deux frères sautent littéralement dans le train pour Copenhague, quelques secondes avant que le train démarre... 


Les Lavallée chez les Vikings
Passenger - Let her go
Après avoir fait traverser la mer Baltique à train monté sur un bateau, on retrouve le pays d'où toute mon année a commencé, mais cette fois accompagné de mon frère. Geneviève nous héberge et je revois des souvenirs qui me semblent loin, et qui ne datent pourtant même pas d'un an... L'endroit où je marchais entre l'hôtel et le congrès, le pub où tout s'est terminé, le café où j'avais retrouvé des amis tant attendus... J'ai amené Francis au musée Carlsberg, on est partis à la recherche des fameux vélos gratuits. Ici, le traffic de fin de journée, ce sont les vélos qui le créent, alors que la voie des voitures est presque libre. 


On s'est fait de bonnes bouffes on a profité. C'était des vacances pour mon frère, et la fin arrivait pour mon voyage, j'étais en mode bilan. Un bon moment pour s'assoir avec lui et prendre une bière au coeur du magnifique port de Copenhague en prenant la vie au ralenti. Une dernière fois?

Le Bilan
Mon retour semble sonner la fin de mon périple. Et une année comme ça, ça arrive une fois dans une vie, malgré que j'aurai d'autres opportunités pour vivre de belles expériences. Je n'aurai jamais de deuxième chance pour comparer, pour savoir si les choix que j'ai fait cette année ont été les bons, si j'ai bien utilisé le temps qui m'était offert. En réalité, j'avais plus ou moins d'objectifs précis. Apprendre la guitare, apprendre une nouvelle langue, découvrir de nouvelles cultures. Je n'étais plus à l'époque de "me découvrir". Je serai toujours en évolution, mais je ne m'attendais pas à une révélation sur moi-même cette année. Je suis très à l'aise avec ce que je suis. Mais ce voyage avait un potentiel énorme de m'apporter beaucoup de choses en termes d'expériences, de connaissances, d'ouverture. Je n'ai pas plus découvert le sens de la vie, mais la vie fait quand-même déjà plus de sens.

En gros, je ne sais pas ce que j'aurais changé, car j'ai pu tirer du positif d'à peu près tout.

C'était parfait.


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